APPARITION DE NOëL
L’ombre glissa silencieusement dans la petite église, dans ce désert glacé parfumé de mystère. L’humidité froide l’enveloppa comme si sept serpents s’insinuaient sur son corps. L’homme était arrivé là par hasard, saisi d’une impulsion inexpliquée.
Il avait traversé le hameau endormi, d’un pas souple, rapide, vomi par la nuit ? ou sorti de l’horizon ? ignoré de tous, volontairement. La faim le tenaillait ; une rage impuissante le guidait vers un but imprécis, peut-être inavouable. Devant lui, un chat noir avait jailli d’un recoin sombre et couru cacher sa peur dans une ruelle. Surpris, l’homme avait marmonné quelques mots dans une langue étrangère.
C’est alors qu’il avait vu l’église modeste, enturbannée de guirlandes lumineuses. Oh ! ce n’était ni une mosquée, ni un temple ni une collégiale. Simplement, une église de campagne sans prétention. Elle semblait dire : « Je suis là pour vous. On m’a un peu maquillée, pour la Fête. Partageons ensemble la joie de Noël. » D’une main fébrile, l’homme avait tourné la poignée du portail, sans espoir, sans illusion, presque en attente d’un refus. Miracle ! la porte s’était ouverte en grinçant un peu, pour le prier d’entrer.
Il s’était alors trouvé dans cet endroit sacré, au milieu du silence. Peu à peu, son regard s’habitua à la pénombre, grâce à quelques photophores balbutiants et à la lueur de la lune curieuse qui regardait par un vitrail. Elle distingua une silhouette haute et mince, entrevit des yeux clairs, un nez busqué, une chevelure bouclée.
Lui vit la simplicité du lieu : pas de dorures, pas de luxe, hormis le chœur en marbre rouge et noir, veiné de blanc. Pas de tronc à piller. Des chaises basses attendaient patiemment d’hypothétiques fidèles. Une main attentionnée avait disposé des plantes autour de l’autel, apportant une vie au sanctuaire, en cette saison moribonde. Sur leur socle, des statues faisaient le tour de l’église. En simple bois blond, ciselées avec délicatesse et réalisme, elles semblaient posséder une âme ; il ne leur manquait que la parole. Le visiteur nocturne s’approcha de la Crèche, à droite du chœur. Un sourire étrange découvrit ses dents blanches ; il caressa sa barbe d’un geste pensif.
« Ils ont oublié les chameaux, se dit-il avec ironie. Ils se sont appropriés cet Evénement, ils l’ont traduit à leur façon. »
L’inconnu se détourna de la Crèche qu’il jugeait décevante et s’abîma dans la contemplation de deux sculptures qui l’interpellaient : la première représentait Marie, couverte de voiles plissés. Elle tenait contre elle son précieux bébé tout nu, dodu et gigotant. Elle penchait la tête vers lui, avec tendresse et lui murmurait à l’oreille des douceurs maternelles. C’était saisissant d’amour intemporel, d’amour universel.
La seconde sculpture montrait l’enfant Jésus, hissé sur la pointe de ses petits pieds, dans l’effort qu’il faisait pour tendre un marteau à Joseph. Affectueusement, celui-ci caressait la tête du petit, d’une main calleuse et reconnaissante.
L’homme sentit les larmes jaillir de ses yeux, si secs depuis longtemps. Il ne ressentait plus ni le froid, ni la faim, ni la colère, ni le désespoir. Une douce paix coula dans son cœur, comme un cadeau, comme un baume bienfaisant.
A reculons, il quitta l’endroit avec respect, lentement, silencieux comme un voleur et disparut dans la nuit des temps.
Camille MALCOTTE-GEHENOT |  |
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