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LE CHEMIN DU CALVAIRE
Hommage à Paul Étoc, mon père, résistant déporté mort à Neuengamme,
À tous les déportés disparus ou rescapés de l'enfer des camps.
Je suis allé à Neuengamme
Pour mettre mes pas dans les tiens ;
Je suis allé à Neuengamme
Pour chercher et trouver ta main.
À l'entrée du sinistre enfer
Cirque immonde à tu as souffert,
J'ai revu ton triste visage,
Ton bon regard plein de courage.
Abordant la place d'appel,
J'ai maudit tes bourreaux cruels ;
Là , presque nu et frissonnant,
Tu chancelais dans le grand vent.
Dans l'aube grise à le froid mord,
Tu commandes à ton pauvre corps
De suivre un chemin de calvaire,
En trébuchant dans les ornières.
Dans l'eau glacée, il faut piocher
Creuser le fossé, s'arc-bouter
Alors que hurle le Kapo,
Que la schlague laboure ton dos.
Après l'épuisante journée,
Tu reviens, l'échine courbée,
Progressant d'un pas incertain
Qu'englue la boue du noir chemin.
Exténué, tu retournes au block
Titubant, lamentable loque,
Pour manger ton maigre repas,
Retardant l'horrible trépas.
Dans ton écuelle un brouet clair
O๠flotte une pomme de terre,
Le pain que lentement tu mâches
Pour survivre à la dure tâche.
Les nuits de douloureux sommeils
Les yeux grand ouverts tu veilles ;
Les poux voraces et la vermine
Ravagent ta maigre poitrine.
Mais toute force a ses limites ;
Le vif désir de vivre quitte
Un soir, ton âme désolée,
Et ta dépouille décharnée.
Hagard, gisant sur ton châlit
Tu cries : "Ma femme, mon petit !..."
Ton doux regard se voile d'encre,
S'évanouit ton âme si tendre.
Au pied du crématoire à ton corps est poussière,
J'ai déposé des fleurs et fait une prière ;
Alors j'ai entendu ta voix mourante et lasse
Dire en un long sanglot sur cette triste place :
"Mon fils n'oublie jamais ce crime abominable
Que le bourreau nazi inflige à ses semblables.
Je te tends le témoin, transmets notre pensée :
- Mon supplice est le prix de votre liberté -".
Pleurant, agenouillé, j'ai saisi le témoin
Et depuis ce soir-là , j'ai retrouvé ta main.
(Des sourires et des larmes – Octobre 1996)
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