A PROPOS DU TEMPS (POéSIE LIBRE RIMéE)
Notre langue française, née de parlers antiques,
Est si fertile en mots, tellement musicale !
Son bagage, pourtant, n’est pas satisfaisant.
Un exemple suffit pour étayer ma thèse :
Si je parle du temps, qu’évoque-t-il d’emblée ?
S’agit-il du climat, du soleil, de la pluie
Ou des jours qui trottinent en nous faisant vieillir ?
Les saisons se succèdent et modifient le temps…
L’horloge, imperturbable, aiguillonne le temps…
Ce terme-là devrait avoir un rôle unique.
Or, il a deux fonctions, chose paradoxale,
Qui n’ont rien en commun. Qu’importe ! Venons-en
Au sujet d’aujourd’hui. Fermons la parenthèse.
Nous parlerons du temps qui déroule une année.
C’est le temps historique ; il s’égrène et s’enfuit,
Emportant le présent que l’on peine à cueillir.
L’invariabilité, c’est la loi de ce temps.
L’horloge en est la preuve ; on la croit mais, pourtant…
Quand, autour d’une table, une famille heureuse
S’assemble et se revoit pour un repas festif,
Arrosé de nectars, éclaboussé de rires,
Chacun oublie le temps, le temps chronologique.
La fête arrive au terme ; il faut bien une fin.
On consulte sa montre ; on s’inquiète de l’heure.
Pourquoi ce beau moment n’est-il pas éternel ?
Au contraire, on dirait que l’horloge sournoise
A pressé ses aiguilles pour écourter le temps.
Par contre, sans surprise, une femme amoureuse
Loin de son bien-aimé, quel qu’en soit le motif,
Ne se contente pas d’appeler ou d’écrire.
Elle attend, cœur battant, la minute magique
Où leurs âmes et leurs corps exulteront enfin.
Car le rythme des jours, multipliant ses heures,
Se révèle, pour elle, éprouvant et cruel.
On dirait que le temps lui cherche quelque noise,
S’étire sans remords, ignorant qu’elle attend.
Le temps paraît trop long ; le temps paraît trop court,
Alors qu’il est pareil, alors qu’il est constant.
Ses écarts apparents nous semblent déroutants.
C’est notre état d’esprit qui fait varier le temps.
Ce n’est qu’une illusion, comme il y en a tant,
Un mirage de plus que le destin nous tend,
Selon que l’on est triste ou que l’on est content.
L’horloge, sans faillir, écosse les instants.
Ne comptons pas sur elle pour nous porter secours.
Camille MALCOTTE-GEHENOT |  |
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