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La naissance de l’esprit

« Jadis les hommes avaient des yeux pour ne point voir,
ils étaient sourds à la voix des choses,
et pareils aux formes des songes ? »
Eschyle (525-456 avant J.C.), « Prométhée enchaîné ».

Pensant qu’une force sublime organisait le monde,
ne pouvant s’expliquer la cause des phénomènes (1)
qui perturbaient le Ciel en menaçant la Terre,
nos Anciens s’inventèrent une « Puissance cosmique »
pour justifier leurs peurs des mystères maléfiques.

Les hommes de préhistoire étaient de grands enfants
ne comprenant la Vie qu’à travers des histoires.
Des aèdes composèrent des mythes à double sens,
mélangeant le réel au monde imaginaire
où un Maître des destins règne sur l’Univers.
Mais ce goût des histoires fit naître la Connaissance
et l’envie de grandir hors des rêves inspirés.
En méditant les mythes, les pensées commencèrent
à s’extraire de la crainte d’un ciel tonitruant ;
la vie devint pensante, la Nature eut un sens
et devint modèle d’ordre, faisant naître l’esprit !

Il y a vingt-cinq siècles, des hommes émirent l’idée
que la Nature était une force de raison,
une forme de savoir, le sens d’une harmonie
qui pouvait inspirer une pratique de vie.
Au « Connais-toi toi-même » (2) de l’Apollon de Delphes,
à l’équilibre du monde qu’enseigna Pythagore,
va se joindre la logique d’un Parménide d’Élée
qui veut qu’ « Être » et « Pensée » soient une seule et même chose.
C’est d’eux que la Sagesse et la Philosophie
deviennent Valeurs de vie et Grandeurs pour l’esprit !
Démocrite inventa une idée de l’atome
qu’Anaximandre dota d’un mouvement tournoyant
qui pouvait expliquer la création du monde.
Avec cette Connaissance qui libérait l’esprit
de son asservissement aux mystères du divin,
la Science venait de naître de la philosophie,
commence alors l’histoire d’une civilisation.
Imprimant leur logos sur l’idéal de vie,
nos Anciens ont bâti une religion sociale.
De la cité céleste à la cité État,
il n’y avait qu’un pas : celui de la Sagesse
sacralisant le Bien, diabolisant le Mal,
une vision d’idéal donnant sens à la vie,
une conscience qui devient loi morale et sociale
imposant à l’esprit de se perfectionner.

Projetant sa pensée hors de sa condition,
vers une réflexion analysant le monde,
l’Homme découvre la notion de l’esprit spéculant,
séparé de son corps pour mieux voir et entendre.
Son geste primitif devient plus réfléchi
par passage de l’action au niveau de l’esprit ;
une conscience s’y greffe qui l’invite à choisir !
La civilisation résulte de ce combat
que livre l’Homme aux instincts de son corps d’animal.
Doté du raisonnement et armé de logique,
délaissant le divin, vouant culte à la science
pour élever son esprit jusqu’au niveau du Ciel,
l’Être pensant s’est fait le Maître de la Terre.
Par son intelligence, animé de puissance,
il rêve de devenir la Maître du Cosmos !


La Peste, ou l’élixir miraculeux

« Un mal répand la terreur,
mal que le ciel en sa fureur
inventa pour punir les crimes de la Terre,
la Peste, (puisqu’il faut l’appeler par son nom) …
faisait aux Animaux la guerre. »
Jean de La Fontaine, « Les Animaux malades de la Peste. »

Au cœur d’un Moyen-Âge frappé par les malheurs (1),
sévit une méchante peste qui emportait les gens,
comme fait le vent du nord avec les feuilles d’automne.
L’épidémie s’étend et s’empare des cités,
fait régner la terreur en vidant les foyers.
La mort était subite : des plaies apparaissaient
sur les personnes touchées prises d’une fièvre intense,
qui entraînait la mort dans les jours qui suivaient.
Les dépouilles des défunts s’alignaient dans les rues ;
les rescapés cherchaient les auteurs du forfait
responsable de la faute de cette punition.
Les rumeurs les plus folles erraient dans les quartiers.
Les prêtres reprochaient aux hommes leurs débauches ;
les bigotes dénonçaient les femmes adultères ;
d’autres rendaient leurs voisins coupables de l’orage
qui aurait amené les miasmes de l’enfer ;
un père pleurait son fils devenu fou à lier !
Bref ! Tous convenaient de dire que ce fléau était
une vengeance du Ciel fâché d’être négligé.
Chacun surveillait l’autre, l’accusant d’être porteur
des bubons contenant les germes de la mort.
Dès qu’un bouton suspect apparaissait sur l’un,
aussitôt le sujet est privé d’assistance
et même abandonné de toute sa parenté.
Un grand nombre de gens que l’on croit destinés
à périr prochainement, sont conduits à la fosse
pour être ensevelis et enterrés vivants.
Les prières sont intenses, tous les Saints invoqués,
on fait des processions, on brûle des hérétiques,
mais la peste poursuit sa moisson de défunts.
Enfin les échevins assistés des baillis,
décident de quadriller la ville pour contrôler,
la santé de chacun en ordonnant aux gens
de se montrer valides aux portes de leurs maisons.
S’ils n’étaient pas en vue, c’est qu’ils étaient malades,
devenant dangereux pour la communauté.
Tous maudissent le sort qui les accable ainsi,
alors que les corvées de ramassage des corps
disputaient les dépouilles aux loups et aux voleurs.

Au milieu du désastre de la ville tourmentée,
une poignée d’hommes paraît s’élever au-dessus
des misères et frayeurs d’une cité apeurée.
Ce sont quatre compagnons équipés d’une charrette
qui sans relâche ramassent, les corps abandonnés
posés à même le sol, sur le seuil des maisons.
Il semble que la peste soit sans effet sur eux,
ce qui paraît miracle devant telle hécatombe !
Mais on s’aperçoit vite que ces braves ‘’pénitents’’
détroussent sans vergogne tous les pestiférés
sans être contaminés dans ce vil procédé.
Pris en flagrant délit de vol sur les cadavres,
ils dévoilent le secret de leur immunité :
avant de ramasser les morts abandonnés :
Ils frictionnaient leur corps d’un vinaigre de cidre
où avaient macéré des plantes aromatiques,
ortie, menthe, thym et sauge, une branche de romarin !
Cet élixir devint celui des « Quatre Voleurs »,
un secret de santé qui entra dans l’Histoire (2)
comme remède éprouvé, devenant panacée
contre les maux malsains et source de bienfaits !


La Fable d’une fable qui n’est pas une fable…

Aucun chemin de mots ne conduit à la gloire,
mais qu’importe après tout, ce qui est un plaisir
n’a pas à être lustré, il lui suffit d’aimer
l’imparfait de la chose pour mieux la partager.

Un texte légendaire, il vrai bien écrit,
eut un jour la lubie de changer de statut.
Pour quel secret motif ? On n’en sait fichtre rien !
à l’instar de certains, comme l’élève Bonaparte
qui se coiffa lui-même du symbole sacré
réservé par l’usage à la caustique fable.

Cette présence illicite engendra les hauts cris
au sein du fablier, cet illustre institut :
- Vous n’êtes pas des nôtres, et vous le savez bien.
Que faites-vous donc ici, en notre Panthéon ?
- Je veux être une fable ; j’en ai le pedigree
et, comme vous, je raconte une histoire improbable.
- Vous ne dénoncez pas les abus, les travers
de notre société de plaisante façon.
Pas un gramme d’humour en votre prestation !
Aucun échange caustique entre vos personnages
animaux ou objets, prudence élémentaire
pour laisser deviner sans jamais mettre à nu
l’identité réelle du sujet victimaire.
Pas de moralité ! Pas de sage leçon !
Alors, que trouvez-vous à répondre à cela ?
- Je dis que votre accueil n’est guère réceptif.
Trouvez donc la morale apte à me faire taire.
- Oh ! le précepte est simple et déjà bien connu :
« Ã chacun son métier, les vaches seront bien gardées »
Regagnez votre genre, c’est la meilleure idée.
- Merci de ce conseil mais je me garde bien
de copier fablier déjà bien surchargé.
Je veux rester unique, me préserver des règles
afin de dire sans fard ce qui peut être dit
sans me prendre les pieds dans votre académie.
- Vous avez là, monsieur, une fâcheuse conception
en voulant qu’une pomme puisse s’appeler orange !
Soyez respectueux des Maîtres en écriture
qui ont créé des lois pour écrire des chefs-d’œuvre.
- J’ai grand respect pour eux et n’entends pas leur nuire
en refusant d’écrire comme pour les imiter.
Peu importe qu’un récit soit en vers ou en prose,
peu me chaut la Morale, la Satire, le Contexte,
ce qu’il me plaît de dire n’a pas besoin d’abus,
son style en liberté suffit à faire une fable !
Je laisse aux fabulistes le soin d’être bons élèves,
Ils se font un métier de bien soigner ‘’les pommes’’.
- Cueillez donc vos ‘’oranges’’ comme il vous plaît de faire,
je souhaite simplement connaître leur nature !
- Il ne faut pas juger d’une fable sur l’apparence.
« Permettez-moi du moins d’apprendre à tout le monde
que vous m’avez donné le sujet de ces vers. »


Noël d’antan…

♫♫ Petit Papa Noël, quand tu descendras du ciel,
n’oublie pas mon petit soulier … ♫♫


Dans la campagne de mon enfance,
à défaut d’être un grand festin
Noël était une fête du cœur.
On écoutait carillonner
les jolies cloches de notre église
qui célébraient nativité
d’un Enfant-dieu à Bethléem.
Alors que le vent dans la nuit
éparpillait musique des cloches,
nous mettions sabots à nos pieds.
Et prenions lanternes dans le froid,
nous allions jusqu’à l’église
chanter « ♫ Les anges dans nos campagnes… ♫ »
« ♫ Il est né le divin enfant… ♫ ».
La « Sainte nuit » était magique,
elle nous faisait "enfants de Dieu",
une envolée d’imaginaire
de joie, de paix et de bonheur
pour tout un peuple de laborieux,
unis dans une même tradition.
Dans notre église était la crèche
illuminée par de beaux cierges ;
ils encadraient l’Enfant Jésus
couché dans simple lit de paille.
 ses côtés Marie, Joseph
et les rois mages porteurs d’encens.
Un bœuf, un âne et des agneaux
accompagnés de leurs bergers,
semblent protéger la sainte famille.
Cela nous fait comme un tableau
qui fait briller nos yeux d’enfants.
Nous revenions à la maison,
plein d’émotion, le cœur content,
en espérant que Père Noël
n’oublierait pas nos vieux sabots.
Après la soupe du réveillon
de notre modeste festivité,
le coucher était ordonné
malgré notre envie de veiller
pour voir descendre le vieux bonhomme
dans le conduit de cheminée.
Puis le matin, dès le réveil,
nous bondissions jusqu’aux chenets
pour y trouver, dans nos sabots,
une belle pomme rouge et bien brillante
qui nous semblait venir du ciel
et qu’on osait à peine toucher !
C’était notre Noël d’antan
qui garde son goût de merveilleux :
celui de croire au Père Noël !


La pierre de Lune

« Nous paierons très cher le privilège d’être des dieux par la puissance
avant d’avoir mérité d’être des hommes par la sagesse. »

Jean Rostand. 1970.

Habitée par l’Esprit créateur de la Vie,
la Terre enfante les Êtres mais aussi la Matière.
Il se dit que les pierres alignées de Bretagne
auraient été dressées voici six millénaires,
ce qui en fait berceau de civilisation.
« L’Histoire commence à Sumer. » a-t-on coutume d’écrire ;
L’ancienneté d’Armorique permet de contester
ce dogme savamment affirmé comme étant
"Vérité" intouchable des Maîtres du savoir.
Un récit très ancien nous révèle le pouvoir
d’une pierre parmi d’autres venue du fond des âges.
« Est-ce un aérolithe arrivé de l’espace
ou une pierre de feu crachée par un volcan ? »
s’interroge le conteur penché sur un grimoire.
« Sous le porche d’une église, un dimanche de carême,
je croisai un mendiant quémandant sa pitance.
Il portait à son cou un étrange pendentif
fait d’une pierre polie scintillant de mille feux.
Intrigué, je m’approche pour offrir mon obole
et voir d’un peu plus près cet objet lumineux.
- Vous semblez bien curieux de mon disque de pierre !
M’interpelle l’indigent d’un air assez content.
- Votre cristal de roche lance un éclat d’étoile.
Il semble rayonner ; d’où tenez-vous cela ?
- C’est une bien longue histoire qui sent la diablerie.
Je le tiens d’une Sorcière que j’ai beaucoup aimée.
Elle prétendait l’avoir récolté dans la lande
plantée de mégalithes au milieu des genêts.
Cette pierre percée en son centre d’un trou,
symbolise le duel des forces telluriques
et des forces cosmiques dont résultent les éclairs.
Elle disait que la pierre était morceau de Lune
envoyé sur la Terre, témoignant du passé.
Je la crois volontiers car j’en subis l’effet :
En pleine Lune, je suis riche ; en Lune noire, je mendie !
- Mais pourquoi gardez-vous ce talisman maudit ?
Et quelle est cette sorcière qui vous inflige tourment ?
- Dans les feux de la pierre qui me sont sortilège,
une force invisible contrôle mon esprit
et préserve ma vie des outrages et du temps.
Je ne puis la quitter ; j’en ai fait le serment
à la femme magicienne qui me l’avait confiée
avant d’être brûlée sur bûcher d’hérétiques.
Cette pierre communique avec le monde des âmes,
fait revivre la magie par message de l’esprit
de la sorcière partie dans fumée d’envoûtement.
Je reçois ses visions, elles parlent du futur.
Je les écris parfois pour annoncer demain.
C’est là tout le secret de cette pierre de Lune.
- Comment vous nommez-vous dans le monde d’aujourd’hui ?
- J’ai nom "Nostradamus" quand je parle aux Vivants.
Mais mon nom de devin ne peut-être divulgué
pour ne pas encourir la colère des Sorciers. »
La force vivifiante de la Terre produit toutes choses ;
Ce qu’on appelle « Magie » est mystère incompris.
« Chacun sort de la vie comme s’il venait de naître. »
écrivait Épicure voilà plus de vingt siècles !


La Pierre d'éternité (fable)

« Le Sage doute de tout, y compris du doute. »
Adage chinois.

Cet été, en Bretagne, sur la côte de Kerbors,
J’ai trouvé, au milieu d’une forêt de genêts,
Un menhir recouvert d’un roncier déplaisant.
Cette pierre mégalithique, oubliée des Vivants,
Préservait son secret bien à l’abri du vent.

Dominant de la tête l’invasion végétale,
Par son allure hautaine le peulven m’interpelle ;
Il m’attire comme ferait la flamme d’une lanterne,
M’éclairant pour découdre cette façade de feuillage
Et mettre la pierre à nu pour l’exposer au temps.
Caressant le granit adouci par les ans,
Je pose alors ma main sur l’antique monument.
Une sensation bizarre m’étreint immédiatement,
Faisant trembler mon corps dans une grande vibration,
Semblant mettre mes atomes en résonance de pierre !
Je deviens "Pierre levée", à l’image du menhir,
Et j’entends résonner la voix d’un temps passé.
Figé comme une momie au fond d’un sarcophage,
Incapable d’enlever ma main de cette rocaille,
Je me sens envahi d’un tumulte de pensées.

« Il y a bien longtemps que je n’ai pas revu
Les hommes s’aventurer autour de mon rocher »

Résonne dans mon esprit une voix caverneuse.
« Jadis, ils s’assemblaient pour chanter et danser
Tout autour de mon ombre sous une clarté de lune
Et saluer la Terre, votre mère nourricière.
Viendrais-tu, à ton tour, rendre hommage à Nature,
Cette matrice qui transfère la vie au monde des Hommes ? »

M’interroge cet esprit incongru de menhir.
Saisi, je n’ose parler, ma main tremble sur la pierre,
Mon corps en vibration est seul à lui répondre.
« Jadis, sur cette plaine, des hommes levaient les pierres
Pour brandir vers le haut nos forces telluriques
Rejoignant, dans le ciel, certaines forces cosmiques
Pour établir ainsi le flux énergétique
Qui transmet aux Vivants l’Esprit de création.
Éclair, tonnerre et vent se mêlaient à la pluie
Pour arroser la Terre d’un élixir de Vie.
Aujourd’hui, les humains méprisent nos pierres de fées
Qu’ils accusent d’être hantées par le fantôme du Diable,
Ignorants que nous sommes la porte des forces d’en haut
Chargées de vivifier l’Esprit des forces d’en bas.
Va le dire aux Vivants : nous sommes l’Éternité ! »


C’était là le secret du menhir de Kerbors
Qui se cache au milieu d’un fouillis de genêts.


Le foin et la mariée (fable)

Heureux les paysans qui avancent ou reculent les travaux dans leurs champs pour
rester dans la logique du temps.


Dans une campagne d'antan, où les Hommes savaient ouïr
La voix de la nature et respecter la Terre,
Le labeur quotidien s’ajustait au soleil :
Un travail de terrien passant avant plaisir !
Il y eut une belle noce avec une belle mariée
Qu’était bien aguichante avec son air mutin.
Le marié sur le tard, avait besoin d’une femme
Pour tenir sa maison et vaquer aux ouvrages.
Il y eut d’la mangeaille à s’arrondir la panse
Et un tas de cadeaux offerts aux jeunes mariés.
Y’avait le cousin Jules sui faisait cantonnier
Et qui creusait les tombes en bouffant du curé ;
Il pensait politique d’la couleur de son vin.
Y’avait le père Maurice qui faisait menuisier
Et taillait sur mesure de sapin et d’aubier
La caisse de ses copains qui prenaient leur congé.
Y’avait la mère Mathilde qui faisait l’épicière
Avec de belles manières en comptant sur ses doigts ;
Elle suçait son crayon en vendant des bonbons.
Et bien sûr tous les autres, valets comme tâcherons.
Le vieux Louis conta tout plein d’histoires anciennes,
Et le cousin Victor a chanté des romances.
Un gentil vin d’Anjou, gouleyant à plaisir,
Rendait les invités bien gais et enjoués.
La jeunesse a dansé des rondes et des bourrées,
Y avait de l’amusement et de la bonne entente
Sous le ciel étoilé de la nuit qui passait.
Il va maintenant faire jour, il est temps d’s’en aller.
Le violoneux s’arrête et la noce est finie.
Les invités saluent : Au revoir, à tertous !
Les mariés restent là, avec tout le tra la la.
Lui, c’est le gros fermier dont les vaches sont au pré ;
Elle, c’est l’enfant de la ville qui découvre la campagne
Au milieu de la cour où les coqs coqueriquent.
Et voilà la mariée qui, toute énamourée,
Aguiche son bonhomme en se collant à lui.
Il regarde, soucieux, le ciel où se moutonnent,
Dans un étrange ballet, des nuages sombres et gris
Comme pour dire l’aventure à ce nouveau ménage
Qui va devoir faire face aux humeurs de la Terre.
« Mon Pierre, dit l’amoureuse, n’as-tu rien à me dire
Maintenant que nous sommes seuls au milieu des champs ? »

Mais lui, soudain pressé, s’emporte comme soupe au lait :
« Regarde ce foutu ciel, il va mouiller sous peu.
Et mon foin, nom de Dieu, qui n’est pas ramassé !
C’est la mangeaille des bêtes qui risque d’être fichue ;
Il faut aller au pré avant que la pluie tombe
Et mettre l’herbage en meule pour parer à ce temps.

Les voilà qui s’en vont, la mariée en robe blanche
Et portant sur l’épaule une fourche à deux branches.
En se retrouvant là, plutôt que sous la couette,
Elle qui rêvait d’amour en a l’âme tourmentée.
La citadine navrée ratisse, fourche et entasse
Le foin à pleines brassées en meurtrissant ses mains,
Arpentant la prairie en piétinant ses voiles.
La voici devenue femme de paysan
Dont la vie va couler comme un fleuve de labeur.
Entre le foin qu’on rentre et les vaches qu’il faut traire,
Les tâches sont permanentes, elles épuisent et elles usent.
La nature aujourd’hui lui vole sa nuit de noce !


Le choix d’un destin ! (fable)

Entre Dieu et Diable, il est malaisé de choisir…

Je vous livre l’aventure, taillée à ma mesure,
du choix que nous avons parfois à opérer :
Droite, Gauche ou Milieu, la voie est hasardeuse …
Au matin d’un printemps invitant à s’ébattre,
un Agneau déluré s’éloigna de sa mère
pour s’en aller brouter à l’orée d’une forêt
où l’herbe paraissait plus tendre, moins piétinée.
Soudain un Loup surgit de la lisière toute proche,
ouvrant une large gueule en exhibant ses dents,
bavant en savourant d’avance son festin.
Face à cet appétit férocement affiché,
l’Agneau sent son instinct de survie décuplé
et, d’un bond, il s’enfuit, se réfugiant, haletant,
dans une chapelle jouxtant l’herbage de la prairie
où il se barricade au nom du Droit d’asile.
Le Loup, sans se presser, a suivi ce gigot
qu’il compte déguster à l’heure de son dîner.
Il s’installe sur le seuil du saint lieu monastique
pour attendre que l’Agneau achève ses prières
et veuille bien ressortir pour servir le repas.
Mais au bout d’un moment, la faim le tenaillant,
il invite l’innocent à venir le rejoindre
hors des murs du refuge afin de profiter
du soleil printanier et de l’herbe du pré.
Ce Loup croyait au ciel et même aux Écritures :
- Malheureux ! clama-t-il, n’as-tu pas lu la Bible ?
Ignores-tu que les Prêtres immolent sur leur autel
les bêtes de ton espèce qu’ils offrent en sacrifice
pour se faire pardonner leurs fautes et leurs péchés ?
Veux-tu servir d’offrande à leur dieu sanguinaire ?
- Je n’ai pas cette crainte, car il n’y a personne
dans cet enclos de pierres dont la porte est fermée.
- Mais quand le Prêtre viendra avec son grand couteau,
t’allongeant sur l’autel, il te tranchera la gorge
en marmonnant formule pour te faire croire en Dieu.
Sors de là au plus vite pour éviter ce sort !
- Peu me chaut ton invite !
lui rétorqua l’Agneau.
Je ne saurais trouver meilleur d’être égorgé
par vulgaire carnassier plutôt qu’être sacrifié
sur l’autel d’un curé implorant son pardon.
Pour moi, comme pour les miens, c’est du pareil au même,
au moins, dans la chapelle, j’ai le temps de prier
pour implorer du ciel de changer mon destin.
- Oh ! ami d’appétence, tu me fais grande peine,

dit vivement le Loup en quittant prestement
le seuil de la chapelle talonné par les chiens
du berger recherchant son agneau égaré.
Il es est des agneaux comme des humains piégés,
ne sachant plus quel saint ils pourraient évoquer
pour tracer l’avenir de leur pauvre destinée.
En ces temps chaotiques, aucun choix n’est plaisant ;
Il faut pourtant opter hors des murs du moment !


Le Noël du Chouan

Pour le Soldat, la guerre est un champ de batailles entre l’animalité et l’humanité, l’abjection et le sublime, l’irrationnel et les sentiments, diables et dieux, …

« La grande épouvante », c'est le nom que donnaient
les Chouans révoltés, à cette République
qui leur faisait la guerre en brûlant les églises
avec leurs pénitents : vieillards, femmes et enfants.

1794…
Par une nuit d’hiver, la "Terreur" (1) diabolique
envoya des soldats convertir les Bretons
au culte de ses lois à coups de guillotine.
Sous l’éclat de la lune, la neige reflétait
l’ombre des Bleus (2) courbés sous le poids de leurs armes.
L’escouade encadrait un paysan surpris
avec un vieux fusil au milieu des ajoncs.
L’air impassible et dur, il marchait mains liées
en fouillant du regard les haies et les futaies.
Le Bleu qui maintenait le lien du prisonnier
l’assurait qu’il serait fusillé au matin ;
Le sergent promettait le dernier coup de grâce
afin qu’il soit rayé du nombre des Brigands (3).
L’ambiance était tendue et la haine l’emportait ;
Le bouleversement des mœurs et tout le sang versé
faisaient des hommes des fauves, plus rien n’était Français !
Sous l’assaut des menaces, le Chouan restait stoïque ;
Il marchait paraissant surprendre dans la nuit
un bruit que tous les cris de soldats recouvraient,
puis il courba la tête comme pour se recueillir.
Du fond de la forêt monta soudain dans l’air
le son clair d’une cloche tintant joyeusement.
Presque aussitôt une autre fit entendre un son grave
auquel une troisième ajouta son concert.
Les Bleus surpris s’inquiètent et arment leurs fusils :
- Qu’est cela, un signal ? et ils se mettent en garde.
Le prisonnier sourit, les regarde en disant :
- C’est Noël et on sonne la messe de minuit.
La messe ! … les soldats en silence méditent sur ce mot
qu’ils n’ont plus entendu depuis chambardement.
Dans leurs pensées surgissent les images du passé
où tendresse et amour étaient fête au foyer.
La tête basse ils écoutent les cloches qui, tour à tour,
leur parlent de leur enfance dans une langue oubliée.
Le sergent radouci demande au prisonnier :
- Tu es de ce pays où les cloches font ce bruit ?
- Je suis de ce pays qui reste fidèle à Dieu.
- Il y a donc encore des curés par chez vous ?
- Le diable républicain n’est pas présent partout
et, si le vent tournait, on entendrait d’ici
tinter la grosse « Rusarde » de l’église de Tréguier.
- On n't’en demande pas tant ! grommelle le sergent
qui regarde, l’air inquiet, le silence de ses hommes
écoutant pieusement musique des cloches bretonnes ;
C’est une mélodie qui s’élève dans la nuit.
Front bas, traînant les pieds, les Bleus pensent et revoient
l’église de leur village éclairée par les cierges
illuminant la crèche où trône l’Enfant Jésus.
Ils entendent les cantiques, ces vieux refrains de France
évoquant le pardon, la concorde, l’espérance,
attendrissant les cœurs et pavoisant les âmes.
En se grattant la gorge et modérant son pas :
- Comment donc t’appelles-tu ? demande le sergent.
- Yann Kerbors, de la côte.
- As-tu femme et enfants ?
Le prisonnier le fixe et répond de la tête.
- Ta mère vit elle encore ?
Le Chouan ne répond pas, deux larmes coulent sur ses joues.
- Je vais te détacher, marmonne le sergent
gagné par l’émotion partagée des troupiers.
- C’est un mauvais Noël que vont vivre ces femmes.
Quelle corvée que la guerre ! s’exclame l’un des soldat.
- Dans le temps, dit un autre, le monde était en joie
pour fêter la naissance de l’enfant de Marie.
- J’ai moi aussi une femme et deux gosses à nourrir,
ajoute le sergent. Là-bas, en Picardie,
on coupait un sapin qu’on chargeait de cadeaux
Et que l’on décorait de guirlandes et bougies.
Comme mes gamins riaient en tapant dans leurs mains
en ces temps où noël était fête au foyer.
Esseulés comme ils sont, ils ne doivent pas être gais !
- Chez nous, déclare un Bleu, on faisait dans l’église
un beau berceau de joncs pour mettre l’enfant de Dieu.
- En Lorraine, d’où je suis, raconte un troisième Bleu,
un bonhomme de Noël passait de porte en porte,
pour donner des brioches aux enfants du village.
Comme on était heureux de le voir parmi nous !

Les hommes se laissent aller à conter souvenirs
et leur esprit rejoint leur enfance en famille,
faisant qu’ils en oublient leur mission de bourreau.
Les cloches qui s’étaient tues, relancent leurs carillons,
et une sorte d’euphorie plane sur la petite troupe.
Grommelant à demi en regardant ses hommes,
le sergent va frapper sur l’épaule du Chouan :
-Va ! dit-il, en frisant sa moustache, tu es libre.
Le Chouan lève la tête, mais il ne comprend pas.
- Mais va-t’en, nom de dieu, crient les Bleus tous ensemble.
Ébahi et craignant une raillerie sournoise,
Yann regarde l’un et l’autre jusqu’au fond des regards
de ces farouches soldats qui refusent tyrannie
De l’Ogre républicain qui se nourrit de sang.
Puis soudain, comprenant l’émotion du moment,
Yann s’élance dans forêt en criant : C’est Noël !

Sur l’horizon du ciel une étoile trace sa route
en paraissant poursuivre un Dieu bien trop lointain
des choses de la Terre et des folies des hommes.
Sous la voûte étoilée qui éclaire son sentier,
l’escouade repart, son pas est plus léger
comme si le son des cloches avait fait naître la grâce
d’une fraternité entre les frères ennemis.

1-"Terreur" : régime politique d’oppression décrété par la Convention, en l’An I de la République.
2-Les Bleus : nom donné, en raison de la couleur de leur uniforme, aux soldats républicains luttant contre l’insurrection vendéenne et la chouannerie.
3-Brigands : nom donné aux insurgés de l’Ouest luttant contre l’invasion de leurs terres par la soldatesque républicaine.


Les taches du Léopard (conte africain)

La "Théorie du genre" n'est pas universelle

Un léopard d'Afrique doté d'une belle robe fauve,
Habitait dans la plaine aux pieds d'un grand volcan
Qui grondait tranquillement en lançant bien, parfois,
Quelques gerbes de flammes sur ses pentes décharnées.
Ce Léopard aimait les couleurs rougeoyantes
Qui coulaient en torrent tout en chauffant la terre
Et s'était fait l'ami du Feu de l'incendie.
Chaque jour, sans musarder, il lui rendait visite
Pour le complimenter de sa lumière d'enfer ;
Mais le Feu ne rendait jamais une seule visite.
La femme du Léopard se moque de son mari,
Lui disant qu'il avait un bien piètre copain
Qui jamais ne daignait lui rendre son amitié.
À la visite suivante, Léopard insista
Pour que son ami Feu vienne jusqu'à son repaire.
Ce dernier accepta, à condition toutefois,
Que Léopard ferait un chemin de feuilles sèches
Conduisant facilement jusqu'à la porte du gîte.
Comblé par cette promesse, Léopard rentre chez lui
Et prévient son épouse en lui recommandant
De préparer l'accueil souhaité par le Feu.
La femelle honorée ramasse donc des feuilles,
Elle en tapisse chemin reliant les habitats
Puis, fébrile elle prépare une ardente réception.
Le Feu descend du creux où il se dandinait,
Crépitant de plaisir en propulsant des braises.
Saluant bourgeoisement de ses doigts flammèchant
Il touche le Léopard, sa femme et les enfants,
Surpris de cette caresse un peu trop enflammée.
Échappant à l'étreinte de l'ardente amitié
Du Feu qui embrasait le logis tout entier,
Le couple de félins, suivi de ses enfants,
Sauta par la fenêtre pour n'être point brûlé.
C'est depuis ce temps-là que pelage léopard
Est marqué de taches noires aux endroits où les doigts
Trop chauds du Feu ami ont voulu le toucher.


La Fable et la Vérité

Qu'est-ce que la Vérité ?...
C'est l'accord naturel de l'esprit avec la réalité !


Après une longue absence due aux intempéries,
La Vérité, un jour, sortit nue de son puits.
Émergeant des ténèbres, titubant dans lumière,
Elle chercha un asile oùfaire entendre sa voix
Mais les Jeunes comme les Vieux préférèrent l'ignorer,
Aveuglés qu'ils étaient par les flash du progrès.
Puis la Fable apparut dans son habit dette,
Toute parée de ses plumes et de ses pierreries
Aussi fausses que l'éclat des lois qui font le droit.
- Ainsi vous revoilà ! dit-elle à Vérité.
Où étiez-vous passée ? Que faites-vous ici,
Au milieu d'un chemin qui ne conduit nulle part ?
- Ces temps de renoncement m'avaient ostracisée,
Et aujourd'hui je gèle, ne sachant où aller.
Personne ne veut m'entendre car j'inquiète ceux qui savent.
Ils disent méchamment que je remue du vent
Qui s'envole et qui est vraiment sans importance !
Ils m'accusent d'être coupable de déranger leur ordre,
De révolutionner des us et des coutumes
Qui sont dans les usages depuis la nuit des temps.
Je suis sans doute trop vieille pour être révélée !
- Allons donc, dit la Fable, vous êtes ma cadette.
Mais vous voilà toute nue ; cela ne convient pas
De discourir sans voile en un temps où il faut
Parler sous le manteau pour n'être point bannie
Par les "Maîtres", des maux qui s'imposent à nos lettres.
- Qu'ont-ils donc à cacher dont on ne puisse parler ?
- C'est une bien longue histoire liée à la Finance
Qui veut ouvrir le monde pour mieux le contrôler.
Ajoutez à cela privilèges et palais
Que l'on accorde à ceux chargés de faire les lois !
- Leur universalisme est donc si influent
Qu'il masque aux yeux des gens que particularisme
Disparaît et emporte mémoire et traditions
Qui les faisaient enfants du pays de leurs pères ?
Le mélange de cultures est une ronce épineuse
Qui ne peut remplacer la rose de Ronsard !
- Comme le tonneau sans fond des "Danaïdes" antiques,
Leur multiculturel fabrique des orphelins,
Veut remplacer mamelles de l'Histoire des Anciens,
Par un vide effrayant, fatal à notre esprit.
Passons outre, voulez-vous. Tenez, je vous
propose D'associer votre sort à mon genre
littéraire, Vous en serez la charge, je serai le
porteur Pour diffuser au monde des "Vérités" de
Fable. - Vous serez mon miroir et pourrez
refléter Toute la réalité, dénoncer tartufferies
Sans être rebutée, malmenée au prétoire.
- Oui, ma soeur, désormais, ne serez plus
chassée. Grâce à votre raison alliée à ma folie,
Vous pourrez librement et selon votre goût,
Cheminer en riant dans la littérature. Vous direz,
en raillant, que l'utopie globale Veut transformer
les hommes en robots d'un système. - Et nous
serons unies pour descendre dans l'arène Des
mots qui font les maux des idées délétères Et
brassent les natures pour créer le chaos !
Le mélange des genres, des ordres et des cultures,
Devenu amalgame s'avère sans solution
Pour résoudre les conflits de la diversité
Dans une humanité en quête d'une raison
De vivre selon les lois que la nature a faites.


La Noix et le Clocher

D'un noyer qui ombrait la place d'un vieux village
Une corneille un jour, vint y voler une Noix
Qu'elle emporta en haut du Clocher de l'église
Où les gens n'allaient plus faute de savoir prier.

L'oiseau pose son larcin, pensant le déguster,
Mais cette Noix file et glisse, roulant entre ses pattes,
Échappant à son bec, elle chute et disparaît
Dans une fente du vieux mur lézardé du Clocher.

Protégée dans fissure, la Noix rend grâce à Dieu :
« Toi qui règne en ce lieu et qui m'a recueilli,
Accorde-moi, je t'en prie, une place en ce trou
Où j'échappe à démon qui voulait me manger.

Je n'ai pas pu tomber sous les branches de mon père
Qui m'auraient protégé en me couvrant de feuilles.
Je fais voeu aujourd'hui, si tu m'accordes asile,
À grandir dans ton sein pour te faire compagnie. »

À ces mots de prière, touché de compassion,
Le mur de ce Clocher fut heureux d'abriter
La Noix dans le refuge où elle s'était logée ;
Ce logement discret était sans conséquence.

Et pourtant, il en eût ! Au bout d'un certain temps,
La Noix profitait bien. Commençant à s'ouvrir,
Elle glissa ses racines dans l'interstice des pierres,
Élargissant ainsi des fentes séculaires.

Bientôt elle propulsa ses premières branches feuillues
Hors de la mince caverne qui l'abritait du vent.
Puis ses branches dépassèrent en hauteur l'édifice
Désormais encadré de racines tortueuses.

S'encastrant dans le mur, son bois ne tarda pas
À provoquer des brèches qui ébranlaient les pierres.
Le vieux Clocher comprit, mais hélas un peu tard,
Qu'un asile accordé devient propriété !

Il pleura quand ses pierres s'écroulèrent sur la place ;
L'édifice fut détruit et le noyer brûlé.
Une noix, ce n'est qu'un fruit qui a besoin d'espace
Pour étendre ses racines là où sont celles des autres !

Quand on mélange les genres au nom d'Égalité,
On ne peut s'étonner que la Fraternité
Manque de Liberté en s'imposant trop près ;
Chacun doit vivre chez soi, selon ses propres lois !


Le rêve des arbres

C'était il y a longtemps, quand les hommes se cherchaient
Une raison d'exister dans un monde tourmenté.

Sur la colline sacrée, quelque part en Judée,
Trois arbres y échangeaient leurs rêves et leurs projets,
Évoquant le futur de leur tronc vieillissant.
Le premier dit aux autres : « Je voudrai devenir
Un coffre contenant trésor que les hommes adoreront
Pour offrir à ce monde l'espérance en demain ».


Le second arbre pensait : « Un jour je deviendrai
Un bateau magnifique promenant, en flânant,
Tous les Grands de ce monde afin qu'ils voguent en paix
En goûtant le bonheur d'admirer ciel et mer
Et l'éclat des étoiles se mirant dans les eaux.
Là ils feront le rêve de bâtir le bonheur ».


Le troisième arbre du lieu se dit qu'il serait bon
De devenir plus grand, et même le plus fort
Des arbres de la forêt afin que tous les hommes
Le voient dressé de loin en pensant que sa cime
Pouvait parler au ciel pour se faire messagère
Des prières et des vœux qu'ils adressaient à Dieu.

Durant bien des années, les trois arbres se parlèrent,
Souhaitant que leurs rêves se réalisent un jour.
Enfin, au temps d'Hérode qui régnait en despote,
Survinrent trois bûcherons en quête de bois robuste.
C'est aux pieds des trois arbres qu'ils posèrent leurs cognées
Pour affûter les lames qui allaient travailler.

L'un d'entre eux s'approcha du premier de ces arbres,
Se disant que ce tronc lui paraissait solide
Pour être vendu bon prix à un maître charpentier.
Il lui donna alors le premier coup de hache
Et l'arbre fut content en rêvant qu'il sera
Débité en belles planches pour en faire un grand coffre.

Voyant le second arbre, un autre bûcheron
Déclara qu'il vendrait ce tronc à un chantier
Construisant des bateaux sur quais de Tibériade.
L'arbre alors se réjouit de poursuivre en esquif
Aux mains de matelots, une destinée flottante
En naviguant les hommes sur des eaux apaisantes.

Lorsqu'un des bûcherons approcha du troisième,
Cet arbre fut effrayé en sachant que, coupé,
Ses rêves de grandeur tomberaient dans néant,
Privant les hommes du lieu du repère de sa cime.
Mettant fin à son rêve, les bûcherons pensèrent
Qu'il serait un bon bois pour faire des madriers.

Lorsque le premier tronc parvint chez Charpentier,
Il se vit débité en planches et transformé
En une modeste mangeoire qui fut mise à l'étable.
Quant au second rêveur, il devint barque de pêche,
Voyant ainsi couler son rêve de voilier
Et de promenades nautiques sur l'onde du grand lac.

Le troisième de ces troncs fut taillé en charpentes,
Longilignes et carrées qu'on laissa dans un coin.
De longues années passèrent et les arbres oublièrent
Leurs rêves de jeunesse, se contentant d'être bois.
Puis un jour tout changea : dans le ciel s'alluma
Une bien étrange lueur qui intrigua les hommes.

Un soir, très harassés d'avoir trop cheminé,
Un homme avec sa femme arrivèrent à l'étable.
Sous une clarté d'étoiles, la femme donna naissance
À un enfant que l'homme installa dans mangeoire
De l'arbre de Judée devenu un berceau.
Le rêveur compris alors qu'il portait un trésor !

Quelques années plus tard, l'équipage d'une barque
Affrontant la tempête, pria l'un des pêcheurs
De calmer la furie du ciel, du vent, de l'eau.
« Paix ici ! » cria l'homme ; la tempête s'arrêta.
Le second arbre comprit qu'il portait en son rêve
Le Roi des rois du monde, un magicien divin !

Enfin quelqu'un alla chercher le troisième tronc.
Ses pièces furent promenées dans les rues de la ville
Où l'Homme qui les portait se faisait flageller
En étant insulté par une foule en délire.
Puis cet homme fut cloué sur les pièces mises en croix
Et dressé au sommet d'une colline de Judée.

Le rêveur prit conscience qu'il s'approchait du ciel
En portant crucifié se disant « Fils de Dieu ».
Chacun de ces trois arbres a eu ce qu'il rêvait
Sous une forme différente de l'image désirée.
Les arbres tout comme les hommes ignorent les plans de Dieu,
C'est sans doute que leurs rêves restent à la porte du ciel.


Le rêve

Comme le fait le pêcheur,
Ainsi fait le poète
Qui lance sa plume
Pour labourer sa page
D'un sillon d'écriture.
Ses vers sont gouttes d'esprit
Qui tombent sur la pensée
Pour faire germer un rêve.

Comme les femmes qui, jadis,
Filaient sur leur quenouille
La laine de leur vêture,
Le poète file les mots
Pour écrire leur musique
Et composer ainsi
La magie d'un mystère
Que I 'on appelle ... le rêve !


La prière du soldat

« Les morts des batailles perdues sont la raison de vivre des vaincus »
Marcel Pagnol

Salut, mon Dieu !
Jamais encore je n’avais osé
Te parler comme cela, sans manière.
Comment vas-tu ce soir ?

Écoute mon Dieu,
Ils m’avaient dit que tu n’existais pas
Et, comme un sot, je les ai cru.
Ce soir je vois ton ciel,
Du coup je m’aperçois qu’ils m’ont dit un mensonge.
Si j’avais pris le temps de regarder ces choses
Que tu as faites si belles,
J’aurais su bien plus tôt
Que ces gens se trompaient.

Je me demande, Dieu,
Si tu consentirais à me serrer la main ?
Il m’a fallu du temps avant de voir ta face,
Mais si je trouve, ce soir, que tu es proche de moi,
C’est que je suis à la porte d’un moment infernal.
Qui sait ? Il se pourrait que j’arrive chez toi
Sans être annoncé, et peut-être même ce soir.
Nous n’avons pas été très copains jusqu’ici,
Alors je me demande, mon Dieu, si tu m’attends !

Tu le sais, Dieu,
Je suis soldat et je porte les armes.
Mon pays est en guerre et il est occupé ;
Je dois chasser l’ennemi
De la terre de mes pères,
Et rendre à mes enfants la liberté perdue.
Il y aura tout à l’heure un horrible combat ;
Il me faudra tuer ou bien être tué.
Qui sait ? Toi peut-être ?

Ah ! Dieu,
Si seulement je t’avais connu plus tôt,
J’aurais pu te confier mes projets et mes peines ;
Mais il est un peu tard, ce n’est plus le moment.
Allons ! il faut que je parte.
C’est drôle, depuis que je t’ai rencontré
Dans le regard des étoiles,
Je n’ai plus peur de mourir.
Au revoir Dieu.


Visage ! Un paysage d'humanité

"La plume du poète ne promet rien,
elle invite à rêver l'impossible."


S'arrêter en silence
Parmi la foule qui passe.

Contempler un visage,
Comme on regarde la mer,
Ses vagues, sa houle, ses plages ;
Comme on regarde le ciel,
À travers les nuages
Pour y lire les secrets
Cachés sous ses étoiles ;
Comme on regarde les blés,
Ondulants et dorés,
Une promesse de bon pain !
Comme on aspire la vie,
Sans en perdre un seul jour
Car le temps est compté.

Et puis fermer les yeux
Pour enfin rencontrer
Ce qui ne se voit pas :
Un regard, un sourire,
Qui vous dessinent un rêve,
Un paysage d'amour
Qu'aucune palette de peintre
N'a encore barbouillé.

Ce visage-paysage,
Est comme un arc en ciel,
Un fantôme amoureux
Qui hante ma pensée.


L’esprit de nos clochers

Chaque église sur son terroir
Dessine l’horizon d’une cité
Où les maisons aux toits d’ardoises
S’alignent autour du clocher.
Le temple vénérable raconte
Les faits et l’histoire d’un passé
Qui, sans lui, seraient effacés
De la mémoire de nos villages.

Sans le vitrail ou le retable,
L’antique Saint ou le tableau,
Sans la dalle sur le tombeau,
Le bas-relief que le sculpteur
A décoré d’un métier d’homme,
Sans ces traits du temps d’avant,
L’âme du pays d’antan
Ne parlerait plus aux enfants !

Gardons vifs ces témoignages
Qui nous relient à nos Anciens.
Respectons ces seuils sacrés,
Leurs vieux porches de bois, de pierre,
Sur lesquels ils ont laissé
L’amour qui les habitait.
Car à l’ombre des clochers
Souffle l’esprit des terroirs.


Crépuscule... une porte sur l'infini

"La poésie, ce sont des mots qu'on organise pour mieux dessiner une idée,
pour inventer de la beauté et rêver au ciel de demain."


Sur une tristesse d'adieu,
le soleil qui décline
s'en va sur l'horizon
pour céder à la nuit
l'infini de l'espace.

On n'entend plus un bruit,
mais l'harmonie s'installe.
Un peu de la splendeur
des cieux et du couchant
se répand sur la terre.

Je regarde les étoiles
qui bavardent en brillant
et m'envoient un message.

Ma vie n'est plus de corps,
elle est lumière du ciel.

Je rejoins l'infini
du crépuscule coquin
qui efface, doucement,
les paysages du jour
de la palette du temps.
Adieu lumière ;

Bonjours espace
où mes rêves d'infini
se posent sur la nuit
d'un cosmos étoilé,
royaume mythologique...


Création, un parfum d'imaginaire

"La poésie, c'est ce moment étrange
où les mots se mettent à faire de la musique."


Dans mon jardin de poésie,
Ma fleur de création
Est toujours en bouton ;
Elle refuse de s'ouvrir !

Puis survient une idée
Qui papillonne un peu,
Virevolte et se pose.
Il reste à l'attraper !

Je la pose en bouton
Sur ma plume de poète.
Ma fleur de création
S'ouvre alors et embaume.

Elle vous donne son parfum,
Ses couleurs, ses pétales,
Et les mots de ma plume
Pour vous parler d'amour.


A toi, qui tira ces vers

Tu m'as donné un mot
Tiré de ton panier,
Et tu m'as demandé
De te l'écrire en vers.
Comme je suis généreux,
Je vais poser deux mots
Pour te faire poésie
En jardin d'écriture.

Écriture : évasion
D'un moment d'émotion.
J'écris, je parle aux mots
Et ceux-ci te répondent.
La phrase chemine,
Les vers s'alignent,
Invoquent des sentiments,
Évoquent des souvenirs.

Ainsi s'en va la plume,
Poussée par vent du large
Qui appelle le silence
Et parfois la souffrance.
Ces vers animent les flammes
D'une fusion de pensées.
Laisse donc ce feu couver,
Il charmera ton cœur.


Le désert de l'âme

Grands décors de légendes, hauts lieux d'aridité,
Défits d'humanité, tous les déserts fascinent !
Mais ces terres inconnues, de sensations torrides,
Furent théâtres des mystères qui sont à l'origine
Des civilisations et des grandes religions.
Moïse, Jean le baptiste, Jésus et Mahomet,
Répondirent à l'appel de la voix du désert.
Je n'ai pas échappé à cet enchantement,
Entrant dans son silence comme moine en religion,
Me livrant sans réserve à l'aventure mystique.

C'était il y a longtemps, dans un désert d'Afrique ;
Son étendue brûlante, son défi de survie,
Suscitaient l'aventure dans son enfer aride.
Il s'appelait « Grand Bara », et son soleil de plomb
Rend fou même les bédouins, c'est en terre Somalie.
Je décidais un jour d'y passer une nuit ;
M'équipant prudemment, je quittais ma planète,
M'évadant de la ville, m'enfonçant dans le vide,
M'offrant une tranche de vie dans une autre dimension,
Recherchant dans l'espace mon chemin intérieur.

M'arrêtant dans un erg, à distance de toute piste,
Installant mon bivouac, surpris de liberté,
Je mesurais chaque geste, et j'oubliais le temps.
Le soleil était bas, mais il était tyran
Sur cette enclume de sable ne portant que mon ombre.
Au loin quelques cailloux datant du Grand déluge,
Plus près un épineux n'offrant aucun secours.
Je pris alors conscience du silence qui régnait
En ce lieu désertique, refuge ou bien enfer
Où j'avais rendez-vous avec l'âme de mon Être.

Le soleil disparut, faisant venir la nuit
Et invitant les astres au spectacle de la Terre.
Allongé sur le sable, dans mon sac de couchage,
J'admirais le cosmos, ses étoiles scintillantes,
Regardant les deux Ourses que les bergers Issas
Dénomment la Chamelle et Petit chamaillon
La Croix du Sud flambait, Sirius éblouissait,
Les éclats de la voûte invitaient au voyage,
Émettant un signal venant des autres mondes.
Je laissais là le mien pour rejoindre le ciel.

Les heures froides de la nuit, et la chanson du sable,
Sont propices aux rêveries qu'inspirent les étoiles,
Toute l'histoire de ce monde est inscrite dans le ciel.
J'imaginais Thalès comparant ses triangles,
Alors qu'Eratosthène mesurait la planète.
J'écoutais Aristote sur l'Agora antique
Affirmer le logos d'un Ordre pour demain.
Je songeais à ce fils branché sur une croix,
Pour demander pardon du péché des humains.
Une nuit dans le désert fit de moi un berger !


Le secret du mot

Je vais dire le secret
Qui fait les hommes de lettres :
Ils aiment que Vermicelle,
Marié au tapioca,
Leur raconte son histoire !

Bafouillant dans mes langes
Quand j’étais tout petit,
Je barbouillais les murs
En m’aidant d’un biscuit
Détrempé par ma bave.

J’avais reçu le goût
Des lettres qui font les mots
Tout en mangeant ma soupe ;
Une soupe au vermicelle
Fait de lettres minuscules !

Cette soupe alphabétique,
C’est un bouillon de culture
Goûté à la cuillère,
En soufflant sur les lettres
Pour ne pas se brûler.


La naissance du Papillon

Il était une fois un enfant qui rêvait
De voir un jour les fleurs s’envoler dans l’azur
Pour lui faire un ballet de pétales embaumés.
Il dessinait le ciel au-dessus des prairies,
Le dotant de couleurs volées à l’arc-en-ciel.
Sur un papier doré, il posait ses dessins,
Nés du hasard des teintes d’humeur de ses crayons.
Mais soudain l’un d’entre eux, se sentant fatigué,
Cessa de dessiner en se cassant la mine.
L’enfant fut très fâché ; trépignant de colère
Il déchire son papier et jette par la fenêtre
Les morceaux coloriés et le crayon cassé.
Le vent les accueillit, les faisant virevolter,
Puis il les assembla en fleurs multicolores
Qui se mirent à danser dans la lumière du ciel.

C’est ainsi que naquirent, dans le vent d’un printemps,
Les papillons qui ont des couleurs d’arc-en-ciel.
Dans mon jardin de mots est née cette légende ;
Elle voltige et se pose sur fleur de création
Pour vous offrir ce rêve d’enfant qui voudrait peindre
L’éclat d’or des étoiles aux ailes des papillons,
Et fleurir les nuages quand passe le mauvais temps.
Et si les papillons étaient l’image de l’âme
De ces enfants qui rêvent de jardiner le ciel,
Le mystère des légendes vous serait dévoilé !
Regarde ce poème, je l’ai écrit de cœur ;
Ne déchire pas sa page avec ta raison d’homme,
Ne piétine pas ses mots qui fâchent ta logique ;
Laisse le faire son chemin pour te donner demain
Le rêve d’un parfum aux couleurs papillon.


La naissance de l’aurore

L’apparition de l’aube est un moment unique
Auquel il nous revient d’offrir l’hommage des yeux
Pour rendre à la nature le culte de ses aurores.

Par une fraîche nuit d’avril, au premier chant du coq,
Je voulus assister sur un balcon champêtre,
A la naissance de l’astre qui illumine nos jours.
Je m’aventurais donc dans la campagne nocturne
Pour rejoindre un étang qui bordait l’horizon ;
Empruntant un sentier, fort sombre malgré la lune,
Les arbres qui le bordaient lui faisant comme une voûte.
Cheminant à l’estime je trébuchais souvent.
Je devinais la sente au pied et à l’oreille,
J’entendais le filet cascadant du ruisseau,
Je captais la fraîcheur olfactive du plan d’eau.
Il n’en demeure pas moins, tous mes sens en alerte,
J’affrontais l’invisible, parfois contre une branche.
Venant des profondeurs certains bruits surprenaient :
Une chouette hululait, des feuilles étaient froissées,
Tout un monde attendait que la nuit se retire.
J’atteignais mon étang dont le sombre miroir
Reflétait, à regret, les étoiles qui partaient.
M’installant face à l’Est, assis sur un vieux tronc,
D’auditeur attentif je devins spectateur.

Une lueur subite dessina l’horizon.
Cette timide clarté s’étendit tranquillement,
Transmettant sa lumière à de plus grandes chandelles :
Une poignée de secondes effaça toute la nuit !
Ce fut comme le signal d’un renouveau terrien
Nous révélant des formes, éclairant des couleurs,
Chassant l’ombre de la terre, y réveillant la Vie.
J’observais l’émergence du disque d’Orient
Hésitant un instant sur le fil de l’aurore
Pour s’élancer soudain sur le chemin du ciel.
C’était comme l’éclosion d’un mystère de nature,
Une grandeur d’harmonie un moment partagé
Avec le temps qui passe puis s’enfuit au passé ;
Ce miracle de lumière m’offrait son « absolu ».
Le soleil était maître du ciel et de la terre,
Apportant la clarté, la chaleur et la Vie.
En surgissant soudain des dernières ombres terriennes,
Une buse, d’un vol rapide, vint survoler l’étang
Pour tenter d’y surprendre une couvée de colverts.
L’enchantement de l’aube venait de m’échapper !
Loin des modes et des dogmes qui font l’artificiel,
Face au soleil levant l’Homme réveille sa conscience
D’être humain prisonnier dans la cage du progrès.


Dix mille ans de terroir

Le champ, dans ma campagne, est à sa place ancienne.
Son tracé persévère, sa limite est la même,
C’est en le contemplant qu’on prend enfin conscience
Du laborieux silence de la sève des saisons,
De ce travail du temps sur un terroir du Maine.


Sur ce relief antique, dix mille ans de sillons
Ont morcelé les mottes, séparant par labours
D’un côté la forêt dont l’énergie vitale
Fit se dresser les arbres dans un désordre de branches,
Et de l’autre le pré avec ses herbes soumises.


Défricheur primitif devenu fils du sol,
Puis humble paysan cultivant sa parcelle,
Travaillant sans relâche, cumulant l’expérience,
L’Homme sut être patient, trouver les bonnes semences,
Il se fit paysan, la terre imprime ses traits.


Depuis l’antique araire, le soc ouvre le sol,
Agence l’ordre des cultures, aligne les moissons,
Dessine ce rude labeur que l’homme, à chaque saison,
Compose artistiquement depuis le fond des âges,
Dessinant paysages pour se faire un terroir.


La moisson couvre mon champ, ses beaux épis dorés
Sont le miracle du ciel marié à dame nature.
Le ciel apporte l’eau, le soleil sa chaleur,
L’énergie c’est la terre, ma sueur c’est l’action
Qui fait que la semence se transforme en récolte.


Mon champ et ses chevaux, mon vallon et son eau,
Le tracé de mes haies comme mon chemin de terre,
Ou cette odeur de pluie et le bruit du vent d’Ouest,
Sont là signes de nature qui sont complices de cœur.
Ce beau terroir du Maine porte dix mille ans de vie.


Sarthe, ma belle rivière, tu es mon chemin d’Histoire…

Belle Sarthe, "chemin qui marche", c’était le nom jadis
Que te donnaient les hommes dont tu portais les barques.
Puis lassés des excès et des débordements
De ton humeur changeante, ils bâtirent des murailles
Autour de leur cité pour écrire ton histoire.

César et ses légions vinrent admirer ton cours,
Puis les Francs de Clovis se mirèrent dans ton onde.
Mais lorsque les drakkars surchargés de Vikings,
Remontèrent ton courant, l’aïeul des Capétiens
Les bloqua à Brissarthe, en huit cent soixante six !

Fortement chahutée par les Plantagenêt
Qui voulait une couronne, ton histoire est guerrière.
Tu fus rivière de sang dans une guerre de cent ans ;
L’armée des Vendéens revenant de galerne,
Se fera fusiller en passant sur tes ponts.

C’est autour de tes rives que s’est jouée l’Histoire.
Les mobiles de Chanzy s’y heurtèrent aux Prussiens,
Puis la colonne Leclerc arrivant de la Manche,
Traversa en vitesse pour foncer sur Paris,
Mettant fin aux tourments d’une longue occupation.

Mais la Sarthe est aussi un riche chemin de vie.
Serpentant dans la plaine, le cours de sa rivière
Porta bateaux marchands, gabares, barges et futreaux
Halés depuis les berges par robustes percherons,
Pour échanger produits d’un généreux terroir.

La peausserie de Nantes et les ardoises d’Angers,
Les tuffeaux de Saumur et les bons vins de Blois,
Le marbre noir du Maine, puis le chanvre et le blé,
Bétails, bois de charpente, tout cela est commerce.
Les bateaux à vapeur viendront jusqu’à Sablé.

L’écrin de notre Sarthe nous dévoile ses bijoux.
En chacun des méandres apparaît un château,
Un village pittoresque, un moulin, un vignoble,
Une scène d’un autre âge, un paysage d’humains.
Cette rivière vagabonde est notre chemin d’âme…


Le dernier mot !

Comme le font les pêcheurs, je lance ma plume à l’encre
Pour tracer sur page blanche, devenue champ de lettres,
Un sillon d’écriture pour labourer des lignes.
J’ai des vers plein mon cœur, des mots qui s’additionnent,
Entrent les uns dans les autres comme des poupées gigognes,
Pour dessiner des phrases et pour peindre des rêves,
Déclamer des poèmes, fredonner des chansons,
Qui chassent le temps qui passe sur une note de musique.

Sur mon chemin d’enfer je ramasse tous les mots
Qu’ont semé les Anciens pour m’en faire héritage.
Je range dans mon herbier leurs proverbes, leurs sentences,
Même leurs dictons rustiques colportés par le vent
Pour nous faire poésie qui soit de tradition,
Ou raconter légendes qui sentent bon la veillée.
Voulez-vous que j’allume un poème, une complainte,
Pour vous faire flambée qui réchauffe l’amitié ?

Dites "Oui", cela suffit ; la plume m’échappe des doigts
Tant la puissance du mot l’emporte sur mon présent.
L’abominable attente d’une lointaine espérance,
L’usure des aubes malsaines, les bruits rudes de la rue,
Transforment ma nature et le monde qui m’entoure,
Font de moi un poète vieillissant en galère.
Le crépuscule est là, déjà la nuit s’approche,
Encore un court instant, j’écris le dernier mot !


Le bruit des métiers

Depuis les temps lointains
Des cavernes de Lascaux,
L’homme travaille de ses mains.

J’ai souvenir d’enfance
Des métiers qui, jadis,
Animaient mon esprit.

Les bruits, dans mon village,
Étaient fort cadencés
Par les métiers d’antan.

J’entends le Boulanger
Souffler dans sa trompette,
Venir livrer son pain.

J’entends le Maréchal
Frapper les fers rougis,
Ferrant quatre sabots.

J’entends le Cordonnier,
Quelques clous dans la bouche,
Ressemeler les souliers.

J’entends le Tonnelier
Frapper de son marteau
Les cercles de sa futaille.

J’entends le Sabotier
Manipuler la plane
Pour faire un bel ouvrage.

J’entends ce bon facteur,
Une lettre à la main,
Appeler ma voisine.

Il n’est pas un moment
Sans qu’un son n’accompagne
Le mouvement de la vie.

Il est bien regrettable
Que cette musique de bruits
N’ait plus de musiciens !


Blues

Le poète est un rêveur, créateur de mirages.
Il vous entraîne dans un univers
où la plus modeste goutte d’encre
devient un océan d’imaginaire.


Le mot du poète

J’écris ! J’en suis surpris car le mot est une note
Émergeant en silence d’une partition intime.
Il se révèle soudain comme la lumière d’un phare
Dessinant l’horizon sur une mer agitée.
Le mot est une vision, vue extraordinaire
Rapportée d’un voyage dans la musique de l’être.
Le soliste plumitif raconte le sens du temps,
Tel qu’il semble apparaître dans l’océan présent.
Repère d’humanité ou étoile de destin,
Le mot est caillou blanc du chemin intérieur.
Fantôme venu d’ailleurs inspirer mon esprit,
Le mot écrit l’amour, la haine ou bien l’oubli.

Le mot ne meurt jamais, il devient le relais
De la mémoire acquise depuis la nuit des temps.
Le mot est "ver luisant" dans l’infini d’esprit,

Il éclaire la pensée et fait naître l’action.
Je pensais mettre en ordre mes pensées vagabondes,
Je m’aperçois alors que je croyais "désordre"

Ce qui n’était en sorte, que mon inspiration
Aspirant à éclore sous les mots de ma plume.
Le mot rêve d’être un arbre, une source ou bien le vent,

Pour bâtir des légendes et servir de repère.
Il se veut grain de sable pour briser sur la grève
La vague qui déferle, en bloquant son rouleau.

Le mot, je vous l’affirme, n’est qu’un rêve de poète
Qui cherche le paradis dans son enveloppe humaine.


L’arbre

Il fut du premier âge, l’arbre de la Connaissance,
Mais plut trop fort à Ève qui fit malheur d’Adam
En goûtant à la pomme. Ils devinrent des errants,
Condamnés au labeur pour mériter leur pain.
Puis l’arbre leur fut donné pour le repos de l’âme,
Depuis il est sacré, mais ils l’ont oublié !

Il est donc sur la terre un être que l’on ignore,
Parce qu’à force de le voir, on oublie ses bienfaits ;
Sans lui rien ne serait, avec lui tout se fait.
Je veux parler de l’arbre qui nous apporte son ombre,
Il nous donne ses fruits mûrs, il nous fait nos charpentes,
Cet être si généreux est le père de la vie.

Son nom ? : "Esprit du vent", il respire comme un Vivant.
L’Homme s’est enraciné, au ciel par son esprit,
Mais il reste accroché à la terre par son corps.
Son enveloppe ressemble à un arbre dont la cime
Prend la lumière du jour, diffuse l’air qu’elle parfume,
Alors que les racines puisent la vie dans la terre.

Nota :
L’arbre demeure ce symbole antique, l’axe de l’univers qui unit la terre et le ciel, l’invisible monde souterrain de ses racines au dôme visible du monde céleste, l’ombre à la lumière.



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